22

 

Astyan et Anéa connaissaient déjà l’observatoire où exerçait Ghaffary. Les Titans Maerl et Vivyan l’avaient fait bâtir près de deux millénaires auparavant, à l’époque où l’on avait commencé à s’intéresser à l’espace. Aujourd’hui, c’était l’un des plus anciens édifices de Kamaloth. Ghaffary avait apporté de nombreuses améliorations à l’antique télescope auprès duquel il passait l’essentiel de ses journées, pestant contre le temps lorsque celui-ci restait couvert et le condamnait à l’inactivité.

Mais ce soir-là, il jubilait : le ciel d’été était merveilleusement dégagé et la luminosité parfaite. Construit sur une haute colline escarpée qui dominait la baie de Kamaloth, l’observatoire bénéficiait d’un emplacement privilégié. Le mage braqua tout d’abord l’objectif sur la lune, et invita Anéa à regarder. Celle-ci découvrit un paysage extraordinaire, une étendue argentée percée d’énormes cratères, plus désolée que le plus aride des déserts. Avec enthousiasme, Ghaffary commentait :

— Je suis persuadé qu’un jour, l’homme sera capable de se rendre sur cet astre qui nous intrigue tant.

— Peut-être, répliqua Astyan. Mais nous savons qu’il ne recèle aucune vie. Et il reste encore beaucoup à faire sur ce monde-ci.

— Bien sûr, bien sûr, Seigneur. Mais que savons-nous des autres planètes ? La deuxième et la quatrième présentent des dimensions équivalentes à la nôtre. Peut-être existe-t-il là-bas des civilisations qui n’attendent que d’entrer en contact avec nous. Nous avons déjà envoyé des messages par ondes dans leur direction.

Il fit une grimace de dépit.

— Jusqu’à présent, ils sont restés sans réponse, mais nous ne nous décourageons pas.

Puis il prit familièrement les Titans par le bras et les entraîna vers de vastes plans où il avait représenté les neuf planètes connues du système, ainsi que certaines étoiles de grande taille.

— Hélas, ce n’est pas ce soir que nous obtiendrons cette réponse. En revanche, j’ai passé la soirée à établir ce diagramme astral.

Il se pencha sur le document.

— Il n’est pas facile d’interpréter les présages que nous adressent les astres.

Il joignit ses mains par le bout de ses doigts tendus, ce qui semblait être chez lui le signe d’une réflexion intense. Ses yeux noirs se mirent à luire. Enfin il se tourna vers les Titans.

— Écoutez, je peux me tromper. Mais je ne vois pas dans les astres l’annonce d’une catastrophe imminente. Tout semble parfaitement calme. Bien sûr, il peut y avoir un élément que je n’ai pas perçu – je ne suis pas infaillible – mais les conjonctions sont tout à fait favorables.

Il hésita un court instant, puis ajouta.

— Le seul signe qui pourrait se révéler inquiétant, c’est l’augmentation de l’activité solaire. Notre dieu du Jour prépare une grosse colère. Mais cela arrive à peu près tous les onze ans. Il n’y a pas lieu de s’en alarmer.

Astyan hocha la tête.

— Si je comprends bien, tu ne crois pas qu’une puissance ennemie se prépare à combattre l’Atlantide ?

Le mage se caressa le menton, puis joignit à nouveau ses doigts.

— Je n’ai pas dit cela, seigneur Astyan. Je sais que nombre des érudits n’ont pas apprécié la décision des Titans d’interdire certains domaines de la Connaissance. Plusieurs d’entre eux ont quitté l’Empire. Mais ils ne représentent qu’une infime partie des scientifiques ; que pourraient-ils faire contre la puissance de ces royaumes où règnent depuis des millénaires des demi-dieux immortels ?

Astyan soupira.

— C’est peut-être la sagesse qui parle par ta bouche, Ghaffary.

Le mage insista.

— Il est sans doute plus prudent d’armer les royaumes. Mais, si je peux me permettre une opinion, cela risque d’alarmer les populations, peut-être même de créer un mouvement de panique.

Il lui montra sa bague en forme de serpent.

— De plus, nous n’allons tout de même pas abandonner ce symbole qui est le nôtre depuis des temps immémoriaux pour une poignée d’illuminés ! J’ai bien cru tout à l’heure que tu me soupçonnais à cause de lui.

Astyan lui posa la main sur l’épaule.

— Alors, accepte mes excuses.

— Tu me fais trop d’honneur, Seigneur. J’essaye simplement de rester lucide.

Il montra le télescope.

— Et les astres m’y aident.

 

Plus tard, dans l’appartement somptueux que les argontes leur avaient fait réserver, Anéa déclara :

— Je suis perplexe, Astyan. Si tout cela n’était qu’une extraordinaire coïncidence ?

— Explique-toi.

— J’ai étudié son diagramme : il était parfaitement exact. Tu sais que je me suis initiée à leur science divinatoire, par jeu. Apparemment, les astres n’annoncent aucune perturbation majeure dans les mois qui viennent. Alors serait-il possible que nous nous soyons trompés ?

— Mais l’explosion du temple de Fa’ankys ?

— Un acte désespéré de la part des partisans de Palarkos. Ils ne peuvent pas être très nombreux.

— Et Drasko ?

— Cela se passait il y a plus de soixante ans. Nous avons supposé qu’il avait fait des adeptes, mais rien ne le prouve.

— Euphémos n’a pas inventé les hommes-boucs.

— Ces monstres constituent sans doute une aberration naturelle que nous n’avions pas encore rencontrée.

— Tu oublies les marins que l’on a fait disparaître à Akhêna.

— Il ne s’agit peut-être que d’une rixe. Nous savons que les navigateurs sont portés sur la violence lorsqu’ils ont abusé de la boisson ; celui qui a été retrouvé mort a pu être victime d’un règlement de comptes. C’est rare, mais cela arrive.

— Comment expliquer que tous les marins aient disparu ?

— Tu sais bien que ces hommes sont insaisissables. À la moindre provocation, ils reprennent la mer sans avertir personne. Ils n’ont pas de véritables attaches.

— Oui, peut-être. Mais cet argonte qui portait une bague marquée d’un serpent ?

— Il n’y a là rien d’extraordinaire. Ghaffary l’a dit, le serpent est le symbole des érudits. Nombre de savants de Poséidonia possèdent des bijoux semblables ; allons-nous tous les soupçonner pour autant de faire partie de cette secte ?

— Non, bien sûr. Ils ont été nombreux à nous apporter leur soutien…

Anéa insista.

— Je pense que cette secte existe bel et bien. Sans doute a-t-elle été fondée par des scientifiques poséidoniens déçus, qui ont formé une petite armée de fanatiques et ont tenté de nous supprimer pour se venger. C’est une conspiration qu’il ne faut pas sous-estimer, mais nous avons peut-être été un peu vite en imaginant qu’une guerre se préparait contre l’Atlantide. Après tout, il ne s’est rien passé de grave ailleurs qu’à Poséidonia. Les Serpents ne se sont manifestés dans aucun autre royaume.

Astyan médita quelques instants.

— Les dieux fassent que tu aies raison.

Anéa lui prit la main. Il la connaissait trop pour ne pas ressentir le trouble qui continuait de la miner. Il la saisit par le menton.

— Alors, d’où vient cette inquiétude ?

Elle secoua la tête.

— Je… je ne sais pas. Peut-être ne s’agit-il que d’une série de coïncidences. Pourtant j’ai l’impression que tout cela cache quelque chose d’abominable. Comme si un brouillard de forces maléfiques cherchait à endormir notre méfiance.

Un bref sanglot la secoua.

— Je ne me sens pas bien, Astyan. Tout se trouble en moi, je ne parviens toujours pas à voir l’avenir.

Soudain un cri la fit sursauter. L’instant d’après, la petite Maïa fit irruption dans la chambre de ses parents, en proie à la panique. Elle vint se jeter en pleurant dans les bras de sa mère.

— Maman ! Maman ! Le serpent ! Il est là ! Il… Je l’ai vu s’approcher de ces deux dames, là, Deïrdra et Sygrine. Il va les tuer ! Il va les tuer !

L'Archipel Du Soleil
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